La richesse du droit comparé

AutorLeonardo Brandelli
Páginas73-87

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Pour rendre hommage à Véra Fradera, grande comparatiste brésilienne, j’aimerais en quelques pages exprimer le bonheur que m’a donné l’exercice pendant près de quarante ans du droit comparé.

La découverte, car c’était bien dans les années 1960 une véritable découverte des systèmes de droit étranger, a été une révélation, un éblouissement. J’ai senti que le droit avait une autre dimension que celle que mes études universitaires m’avaient fait apercevoir, j’ai compris que la règle de droit ne pouvait être vraiment comprise, dans le sens le plus fort du terme, qu’en la comparant avec des solutions étrangères. Mais pour comprendre le droit étranger, dont la règle pouvait être législative, jurisprudentielle, divine, rituelle… je pressentais qu’il fallait, tâche bien difficile, aller au-delà du droit, s’intéresser à l’histoire (cela je le savais par mon cursus universitaire, qui a l’époque comportait obligatoirement deux années de droit romain et deux années d’histoire du droit), mais aussi la sociologie, l’étude des mentalités, des civilisations, les religions, la philosophie, toutes sciences passionnantes qui étaient, à l’époque, et aujourd’hui encore, peu étudiées lors des études de droit.

Le droit comparé était un parent pauvre; il semble que la qualité et le prestige du code civil français reconnu dans notre histoire au XIX° siècle en étaient la principale raison. Le code civil français de 1804 n’avait pour ainsi dire pas reçu d’influence étrangère. Toute son inspiration était fran-çaise et romaniste. Sous l’égide de Portalis ses rédacteurs avaient réussi une tâche bien difficile, tout à la fois poursuivre la tradition de l’ancien droit et lui insuffler les idées nouvelles apportées par la révolution. Le

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droit romain, l’ancien droit, et les idées des philosophes des lumières ont inspiré les rédacteurs du code civil. Mais on n’y trouve pas d’influence de droits d’autres pays. Et pendant tout le XIX° siècle, les grands auteurs se sont attachés essentiellement à faire l’exégèse du code civil, à le glorifier, car au début du XIX° siècle, le code français énonçait un droit consacrant des valeurs que l’on voulait universelles d’égalité, de liberté. C’était une œuvre de raison, à la fois cohérente et nouvelle. Toutes ces qualités ont suscité l’admiration que lui ont portée les juristes d’autres pays, il a servi de modèle à de nombreuses codifications étrangères. Le droit civil fran-çais était d’une certaine manière un droit «pur», les rédacteurs du code n’avaient pas été inspirés par des droits étrangers.

Le prestige du droit français, la conscience des juristes français de la qualité et de la modernité, à l’époque, de leur droit reposant sur une conception purement française du droit civil, qui ne s’était pas inspiré d’autres systèmes de droit, explique et justifie certainement le désintérêt marqué pendant trop longtemps en France pour le droit comparé

On comprend donc qu’au XIX° siècle, les juristes (à part quelques exceptions comme Saleilles et Lambert) ne se soient pas intéressés à d’autres droits qu’au droit français.

C’est l’apparition du BGB, entré en vigueur en 1900 qui va commencer à changer les choses.

Saleilles et Lambert lorsqu’ils ont cette année là organisé à Paris un congrès de droit comparé, avaient pour but essentiellement de comparer droit allemand et droit français. La Common law à cette époque paraissait beaucoup trop différente de la pensée romaniste pour pouvoir faire l’objet de comparaison.

Ce n’est donc que tardivement, on peut dire d’une manière générale après la deuxième guerre mondiale, que le droit comparé a commencé à être reconnu. René David était un pionnier lorsque parut en 1950 son traité de droit comparé, suivi peu après par son traité de droit anglais.

Les étudiants des années 1950, sauf exception, ne recevaient pas d’enseignement du droit comparé, et la découverte d’une telle matière était le plus souvent le fruit d’un voyage d’étude dans un pays étranger, ou de cours suivis dans des Instituts ou Universités étrangères dans lesquels étaient enseignés des cours de droit comparé.

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Celui qui avait la chance de rencontrer cette discipline, ou d’étudier un droit étranger se heurtait pour la première fois à des institutions nouvelles, des raisonnements différents, une approche alors inconnue des disciplines juridiques.

Ma vision a été celle d’un comparatiste français, Sans doute celle d’un juriste brésilien aurait elle été différente car en Amérique du sud, en raison de l’histoire, les codifications civiles ont été inspirées par les codifications française, allemande ou espagnole. Dès lors pour connaître leur propre droit, tous les juristes brésiliens font appel à la comparaison, l’étonnement est donc moindre que celle du comparatiste français formé à son seul droit. Encore ne doit on pas oublier l’étonnement que peut susciter pour un juriste brésilien, la découverte des droits non occidentaux.

Il faut aussi constater que le monde a évolué, le droit comparé, «pur» art pour l’art que j’ai rencontré dès mes 20 ans me parait avoir subi une mutation utilitaire. On ne se demande plus pourquoi il faut faire du droit comparé.

Aujourd’hui la mondialisation, l’existence de l’Union Européenne et donc du droit communautaire, l’importance prise par la jurisprudence de la Cour de Justice européenne des droits de l’homme, ont conduit nécessairement tous les juristes à s’intéresser à d’autres droits que le leur. De nombreux comparatistes sont appelés à participer au plan national, international ou supra national à des commissions, des groupes de travail qui, réunis spontanément ou sous l’égide d’une institution nationale ou internationale, peuvent avoir pour mission de rédiger des textes, qui, s’ils sont adoptés ou ratifiés un jour, pourront s’appliquer dans les Etats.

Il y a déjà des réalisations séduisantes, mais elles ne semblent pas, en tout cas aujourd’hui, donner tous les résultats attendus. Bon nombre de ces travaux attendent, et peut être attendront ils encore longtemps, avant de servir au but qui les a suscités. Seule une décision politique, si un jour une Europe fédérale se dessinait, pourrait donner tout leur sens aux textes déjà élaborés dans le but d’une éventuelle harmonisation du droit des Etats de l’Union européenne.

De plus j’ai pu constater que depuis 50 ans la circulation des modèles juridiques a pris une place importante dans l’évolution des systèmes. Parmi les sujets que je retiendrai, à titre d’exemple, certains ne paraîtraient plus aujourd’hui aussi originaux Quelques institutions étrangères sont, ou

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doivent être abordées dans les cursus universitaires pour expliquer des règles nouvelles du droit français. Par exemple, un nouveau contrat, la fiducie, a été implanté dans le droit français en imitation assez lointaine du trust, la réserve de propriété est reconnue dans notre droit, le droit des société a beaucoup appris du monde des affaires anglo-américain. Le contexte a quelque peu changé, et c’est peut être l’arrivée dans le champ des comparatistes des droits asiatiques, japonais, chinois, hindou, qui peut aujourd’hui susciter les nouveaux étonnements. Mais l’adoption par ces pays d’institutions ou de règles occidentales bien souvent atténue l’effet de nouveauté.

Mais demeurera toujours le plaisir pur, le droit comparé seulement pour l’étonnement intellectuel, pour la simple connaissance et la réflexion sur le Droit, détaché de tout but utilitaire, aussi important serait il.

Parmi tous les buts du droit comparé que l’on m’a enseignés et que j’ai enseigné moi-même pendant de longues années, celui qui m’a toujours le plus séduite, demeure la meilleure compréhension de son droit. Plaisir personnel, égoïste peut être mais qui conduit à un grand enrichissement de l’esprit et qui peut être obtenu par tous les juristes qui le désirent.

Je voudrais donc brièvement, livrer quelques unes de mes propres expériences, pour tenter d’expliquer le plaisir que tout juriste peut retirer de la comparaison des droits.

Ma découverte a commencé par les cours de l’Institut de droit comparé de Paris.

Outre un cours d’introduction au droit comparé qui m’a révélé toutes les richesses possibles...

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