L'utopie au 21e sie`cle
Autor | Kostas Vergopoulos |
Cargo | Université Paris VIII |
Páginas | 37-41 |
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Kostas Vergopoulos
Université Paris VIII
/¶8723,($8H6,Ê&/(
Resumé: 4XHOSHXWrWUHOHVHQVGHO¶XWRSLHDXHVLqFOH"6HUDLWLOGLIIpUHQWGHFHOXLTXHQRXVDYRQVFRQQXDXFRXUVGHV
GHX[VLqFOHVSUpFpGHQWV"6DQVGRXWHOHWHUPHGHO¶XWRSLHLQGLTXHOHGpVLUGHYLYUHGDQVXQPRQGHGLIIpUHQWDXWUHPHQWGLW
OHGpVLUGXFKDQJHPHQWVRFLDOHWSDUFRQVpTXHQWOHWHUPHGHO¶XWRSLHGpVLJQHHQSHUPDQHQFHODTXHVWLRQGXFKDQJHPHQW
VRFLDOjWRXWHV OHVpSRTXHV,O Q¶\DSDV GHUDLVRQGH V¶LPDJLQHUTXHFH GpVLUDLWSX FKDQJHUGDQVVD VXEVWDQFHjQRWUH
VLqFOHSDUUDSSRUWjFHTX¶LOIXWDXFRXUVGHVVLqFOHVSUpFpGHQWV&HSHQGDQWGDQVODQRWLRQGHO¶XWRSLHRQGLVWLQJXHG¶XQH
SDUWVRQFRQWHQXJpQpULTXH TXLQHFKDQJHSDV G¶DXWUHSDUWOHVPR\HQV G¶\SDUYHQLUTXL FHUWHVSHXYHQWFKDQJHUVXLYDQW
O¶pSRTXH6L OHGpVLU G¶XQPRQGH GLIIpUHQWIXW WRXMRXUV DXVVLLQWHQVH OHVPR\HQV HWOHV YRLHV G¶\SDUYHQLU Q¶RQWSDV pWp
toujours les mêmes.
Mots-clés: Utopie, changement social, 21e siècle.
8723,$,1&(1785
Abstract: What can be the meaning of utopia in the XXI century? It would be different from what we had over the last two
centuries? No doubt, the term Utopia indicates the desire to live in a different world, in other words, the desire for social
change and therefore the category utopia means the continuing of the social change at all times. There is no reason to
imagine that this desire has been able to substantially change in our century, compared to what was in the course of
previous centuries. However, the concept of Utopia, distinguished its generic content that does not change, on one hand;
and on the other, the means to achieve it , they can certainly change with the seasons. Although the desire for a different
world has always been so intense, the means and the ways to achieve it were not always the same.
.H\ZRUGV Utopia, social change, xxi century.
Recebido em: 04.11.2015. Aprovado em: 06.06.2016
R. Pol. Públ. São Luís, Número Especial, p. 37-41, novembro de 2016
38 Kostas Vergopoulos
,1752'8&7,21
Durant la première moitié du 19e siècle,
l’utopie sociale était une affaire des élites d’initiés.
Les utopistes se faisaient distinguer par leur action
immédiate, à savoir sans médiation, visant à réaliser
leur rêve ici et M maintenant, dans un monde parallèle
SDUUDSSRUWjO¶RI¿FLHO'HV,FDULHHWGHV3KDODQVWqUHV
se sont répandus sur la base du volontariat souverain
des petites élites éclairées largement minoritaires,
mais avec l’ambition de concurrencer le monde
RI¿FLHO6L WRXWHVOHVH[SpULHQFHV XWRSLTXHVRQWpWp
¿QDOHPHQW EDWWXHV FHOD IXW VXUWRXW OH UpVXOWDW GH
OD FRQFXUUHQFH PRUWHOOH DYHF OHV IRUPHV RI¿FLHOOHV
SOXW{W TX¶j FDXVH GH OD UpSUHVVLRQ /HV PLOLWDQWV
utopistes se sont trouvés désemparés avec l’échec
GHOD&RPPXQHGH 3DULV/DFRQFOXVLRQ TXH
les marxistes ont tirée de l’échec de la Commune fut
TX¶HOOHDYDLWVRXVHVWLPpHWQpJOLJpODTXHVWLRQGHOD
FRQTXrWHGHO¶(WDW&HTXLSDUODVXLWHGHYDLWRULHQWHU
l’utopie du 20e siècle à centrer tous ses efforts à
OD FRQTXrWH SUpDODEOH GH O¶(WDW /¶XWRSLHGHV pOLWHV
du 19e siècle devait ainsi céder sa place à l’utopie
FHQWUpHjODFRQTXrWHGHO¶(WDWO¶XWRSLHG¶(WDW
A côté des formes de l’utopie immédiate,
au cours de la deuxième moitié du 19e siècle et
surtout de la première moitié du 20e, des formes
de l’ XWRSLHVFLHQWL¿TXHHWUpDOLVWH ont vu le jour: des
XWRSLVWHVTXL RQWVRXPLV OD UpDOLVDWLRQGH OHXU GpVLU
j OD FRQTXrWH SUpDODEOH GX SRXYRLU&HW REMHFWLI D
imposé la forme parti politique, avec l’engagement
des citoyens et l’organisation et la discipline du
centralisme démocratique TXL HQ GpFRXOHQW 'DQV
les deux cas, celui de la réalisation immédiate et
FHOXLGH OD IRUPHSDUWL YLVDQW OD FRQTXrWHSUpDODEOH
du pouvoir, l’utopie interpelait ses militants et cela
supposait dans les deux cas des élites et des avant-
gardes éclairées dont la légitimation imaginaire
renvoyait à la défense des intérêts du peuple et de
la classe ouvrière. Or dans les deux cas, les utopies
éclairées n’ont pas pu dépasser l’horizon de leurs
LQLWLpVWDQGLVTX¶HOOHV Q¶RQWSDV PDQTXpGH VHIDLUH
GLVTXDOL¿HUDX[ \HX[ GX JUDQG SXEOLF FRPPH GHV
utopies meurtrières ou dans tous les cas comme des
XWRSLHVGHVpOLWHV RXGHVLQLWLpV HWSDU FRQVpTXHQW
QRQIRUFpPHQWGpPRFUDWLTXHVSRXUWRXWOHPRQGH
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Depuis le début du 21e siècle, on assiste à
l’épanouissement des nouvelles formes de l’utopie,
notamment l’ utopie de masses par opposition
j FHOOHV GHV PLQRULWpV pFODLUpHV HW G¶(WDW TXL RQW
PDUTXp OHV H HW OH H VLqFOHV /HV FLWR\HQV GH
QRWUHpSRTXHVRQWLQWHUSHOpVSRXUGpIHQGUHXQPRGH
d’organisation de la vie sociale pour tout le monde
et non seulement pour des petits cercles des élites
RXGHVLQLWLpV/¶XWRSLHGHQRWUHpSRTXHQHFRQFHUQH
plus l’homme en général, mais plus précisément
le citoyen en tant membre de l’ensemble de la
cité. Les moyens pour y parvenir ne sont plus la
FRQTXrWH SUpDODEOH GX SRXYRLU QL OD FRQVWUXFWLRQ
des ilots de contre-sociéteғ PDLV OD PRELOLVDWLRQ
de l’ensemble des citoyens à travers la réalisation
GX MHX GpPRFUDWLTXH /¶XWRSLHGH QRWUH pSRTXH VH
résume aux mots d’ordre Démocratie et digniteғ
avec accès pour l’intégralité des citoyens. Elle est
portée par les vagues de la nouvelle radicalisation
GHV PDVVHV TXL FRPPHQFH j pPHUJHU GHSXLV OD
manifestation des premiers mouvements radicaux
FRQWUH OD PRQGLDOLVDWLRQ j VDYRLU GHSXLV OD ¿Q GH
l’année 1999 et le début du 21e siècle.
&HSHQGDQWTX¶HVWFH TXHUDGLFDO HW TX¶HVW
FHFRQVHUYDWHXU j QRWUHpSRTXH" .DUO 0DU[
Gp¿QLW FRPPH radicale WRXWH SHQVpH TXL VDLVLW OHV
phénomènes par leur racine $ FKDTXH SKDVH GH
O¶KLVWRLUHHVWUDGLFDOWRXWFHTXLPRGL¿HOHVFRQGLWLRQV
de fonctionnement de la société et pose les enjeux
sociaux sur les bases nouvelles. Au cours de Mai 68,
OHGLVFRXUVUDGLFDOIXWPDUTXpSDUOHVLPSOHUDSSHOTXH
O¶KRPPHQ¶HVWSDV VHXOHPHQWXQpOpPHQW TXDQWLWDWLI
intégré au capitalisme, mais il constitue aussi un
sujet avec des besoins vitaux, comme ceux de la
TXDOLWpGHYLHHWGHO¶DEROLWLRQGHO¶DOLpQDWLRQ/¶KRPH
et la société ont le droit inaliénable de se chercher,
GHVHFUpHU HWGHV¶LGHQWL¿HU'HVKRPPHV UDGLFDX[
HW GHV DUWLVWHV pFFHQWULTXHV RQW WRXMRXUV H[LVWp j
WRXWHVOHVpSRTXHV'HPrPHjWRXWLQVWDQWH[LVWHQW
aussi des groupes, des avant-gardes, des élites
fussent elles réelles ou imaginaires. Cependant, le
UDGLFDOLVPHVRFLDO HWSRSXODLUH FRQVLVWH HQTXHOTXH
FKRVH GH ELHQ VSpFL¿TXH TXL VH PDQLIHVWH DYHF
une périodicité suivant le mouvement de l’histoire.
Au cours de cette dernière, il existe des phases de
haute intensité et d’accélération, tout comme il existe
aussi des phases de ralentissement de relâchement.
La radicalisation populaire surgit toujours de
manière inattendue, par des endroits, des voies
HW j GHV PRPHQWV VXUSUHQDQWV /RUVTXH WRXV OHV
chemins sont fermés et l’ordre établi se sent en
VpFXULWpF¶HVW HQ FHPRPHQW TXH OH PDODLVHVRFLDO
se manifeste par des voies les plus inattendues et
avec des révendications les plus improbables et les
SOXVLPSUpYXHV&KDTXHIRLVTXHOHVUHQGHPHQWVGH
l’argent se croient assurés et stabilisés, l’explosion
sociale est à l’oeuvre et se précipite. Les hauts
UHQGHPHQWV¿QDQFLHUVQ¶RQWMDPDLVpWpXQERQVLJQH
pour la stabilité, l’avenir et la capacité de se reproduire
GX V\VWqPH TXH OHV UpDDOLVDLW 3OXV OHV PDvWUHV GH
l’argent se sentent rassurés et plus ils s’exposent à
ODGpEDXFKHDX[H[FqVDYHFFRPPH FRQVpTXHQFH
l’approfondissement de la misère sociale et la
croissante instabilité sociale. C’est par sa nature
TXHO¶HQULFKLVVHPHQW VDXYDJHOD FRQFHQWUDWLRQ GHV
richesses non par voie de création, mais par voie de
WUDQVIHUW HW GH FRQ¿VFDWLRQ FRPPH FHOD VH SDVVH
DXMRXUG¶KXLQHQRXUULWDXWUHFKRVHTXHOHGpVDUURLHW
l’explosion sociale.
Le cycle de l’instabilitéD pWp YpUL¿p GDQV
R. Pol. Públ. São Luís, Número Especial, p. 37-41, novembro de 2016
L’UTOPIE AU 21e SIÈCLE
l’histoire au cours des deux derniers siècles. La
IRUPDWLRQGHO¶ROLJDUFKLH ¿QDQFLqUH GHSXLV HQ
Europe, sous l’impulsion du mot d’ordre enrichissez
vous du Premier Minsistre français François Guizot
(1787-1874), a préparé le terrain pour l’avènement
du Printemps de Peuples (1848), non seulement en
France, mais pour l’ensemble du vieux continent.
L’interpénétration entre les milieux d’affaires et les
KRPPHV SROLWLTXHV D VXVFLWp OH GpVDUURL SURIRQG
FKH] OHV FODVVHV SRSXODLUHV /HV FRQTXrWHV
sociales concédées à partir de 1850 par Louis
Bonaparte (reconnaissance et légalisation du droit
de s’associer et de faire grêve, les inspections des
conditions du travail) n’ont pas réussi d’amortir le
caractère explosif du paysage social du 19e siècle.
/HUHWRXUGHODGpEDXFKH¿QDQFLqUHDXFRXUVGXQG
Empire français à rigoureusement préparé le terrain
pour l’explosion de la Commune de Paris (1871).
Une foule des damnés sociaux s’est installée au
GHYDQWGH O¶KLVWRLUH SUHQDQWGH FRXUW WRXVFHX[ TXL
prétendaient avoir le monopole de la représentation
et de la gestion du désarroi social.
$OD¿QGXHVLqFOHSOXVLHXUVV¶HPSUHVVDLHQW
jUDVVXUHU TXH OHVLGpHV GH .0DU[ pWDLHQW
déjà dépassées. Cependant, l’ébulition sociale
n’avait pas cessé, comme cela s’est manifesté avec
FHTXLDVXLYLjSDUWLUGH
'HSXLV O¶pSRTXH ¿Q GH VLqFOH, restée dans
l’histoire comme la Belle Epoque (1880 1900), le
PRQGH D SULV FRQVFLHQFH GX U{OH GHV EDQTXHV HW
des bourses dans l’organisation du désarroi des
VRFLpWpV ,O D pWp QpFHVVDLUH TX¶XP FHUWDLQ 5XGROI
+LVOIHUGLQJ VXUJLVVH SRXU UHQGUH FODLU TXH OH VWDGH
suprême du capitalisme n’est pas la concentration
du capital et de la production, mais bien au
FRQWUDLUH OH SDUDVLWLVPH GX FDSLWDO ¿QDQFLHU HW OD
décomposition des systèmes productifs. Il a a été
QpFHVVDLUH TX¶XP FHUWDLQ /HQLQH VXUJLVVH SRXU
PRQWUHUTXHFRQWUDLUHPHQWDX[FUR\DQFHVGX GpEXW
du 20e siècle, l’internationalisation du capital n’abolit
SDVOHV QDWLRQV PDLV TXHFHV GHQLqUHV FRQVWLWXHQW
des chainons incontournables et nécessaires dans
la constitution de sa chaine mondiale. Pour montrer
DXVVL TXH WDQW TXH OHV UHQGHPHQWV pFRQRPLTXHV
diminuent et la prospérité sociale se dégrade, les
rivalités et antagonismes parmi les nations ne
régressent pas, mais au contraire s’accentuent. Au
cours des périodes de prospérité, les antagonismes
SDUPLOHVQDWLRQV UHFXOHQWSHXYHQWSDUDvWUH FRPPH
HVFDPRWpVHWOHV\VWqPHLQWHUQDWLRQDOFRPPH XQL¿p
HW IRQFWLRQQHO WDQGLV TX¶DX FRXUV GHV SpULRGHV
de récession, ces antagonismes rebondissent et
s’accentuent.
/HSUREOqPHLGpRORJLTXHGHFKDTXHpSRTXH
ne consiste pas tellement en la capacité des classes
KpJpPRQLTXHV GH FRQYDLQFUH HW G¶RULHQWHU OHV
sociétés, mais bien au contraire en leur capacité de
se trouver en connection avec elles dans toutes les
phases, de les suivre en participant à leurs mutations
sans se limiter à rester à la marge de toute évolution.
Le radicalisme social d’aujourd’hui ne procède pas
tellement d’une idéologie, mais surtout des conditions
de vie et du désarroi social, c’est à dire de la vie
elle- même, et fait partie directement des évolutions
sociales, sans la nécessité de médiation tant des
LGpHV TXH GHV SHUVRQQHV /H IURQW LGpRORJLTXH GH
FKDTXH pSRTXH QH GpFRXOH SDV GHV LGpHVHQFRUH
moins des idéologies, mais essentiellement de
l’attidude des hommes devant la vie.
$ QRWUH pSRTXH LO H[LVWH XQ VHQWLPHQW
GLIIXVVHORQ OHTXHOOHV VRFLpWpVVRQW LQVWDOOpHVGDQV
XQH LPSDVVH 4XH OHV VDFUL¿FHV VDQV ¿Q LPSRVpV
degradent la dignité, les libertés, les conditions
matérielles et spirituelles de la vie contemporaine,
sans de l’autre côté assurer des perspectives, de
visibilité et de viabilité pour personne. L’ouvrage
de Thomas Piketty Le capital au 21e siècle montre
ELHQFKDTXHIRLVTXHOHVLQpJDOLWpVVHFUHXVHQWGDQV
l’histoire, comme aujourd’hui, cela n’améliore pas la
TXDOLWpGH IRQFWLRQQHPHQW GX V\VWqPHpFRQRPLTXH
et social, mais au contraire cela la dégrade. Le 1%
de la population en antagonisme frontal avec le
UHVWDQW /HV PRXYHPHQWV GH UpVLVWDQFH TXL
se manifestent depuis décembre 1999 (Seattle) -
Mouvement contre la mondialisation, Forum Social
Mondial (FSM), Mouvements Occupy aux Etats
8QLV GH :DOO 6WUHHW MXVTX¶DX[ SODFHV SXEOLTXHV
GH %DUFHORQH 0DGULG $WKqQHV ± QH VRQW TXH OHV
VLJQHVSUpPRQLWRLUHV SRXUWRXW FHTXL j SUpVHQWHVW
en gestation dans les sociétés considérées comme
développées. Le rôle principal dans ces événements
HVW DVVXUp QRQ SDU GHV TXHOTXHV SHUVRQQHV
éclairées ou illuminées TXL FRQQDLVVHQW G¶DYDQFH
où diriger les foules, mais par les victimes mêmes
des options actuelles de nos sociétés: chômeurs,
jeunes, déchets humains massivement rejettés aux
marges des sociétés par les nouveaux prédateurs
des richesses sociales, par la concentration de ces
richesses dans les mains des minorités toujours plus
réduites.
/HV VRFLpWpV GH QRWUH pSRTXH RQW FHVVp
d’intégrer, ayant ainsi perdu toute capacité
d’extension et de reproduction. Au contraire, elles
QH IRQW TX¶H[FOXUH GHV FRXFKHV VRFLDOHV WRXMRXUV
SOXV LPSRUWDQWHV FH TXL UpGXLW IRUFpPHQW OHXU
FDSDFLWpGHUHSURGXFWLRQ V\VWHPLTXH&HOD OHVUHQG
forcément toujours plus dysfonctionnelles, toujours
plus fragiles et toujours plus vulnérables. Au lieu
de la paix sociale annoncée, le capitalisme du 21e
siècle installe la société dans un état d’exception
permanent, dans une croissante incertitude et
préoccupation concernant d’avenir immédiat des
citoyens. Personne aujourd’hui, au delà du 1% de
la population, ne peut se considérer en sécurité en
FH TXL FRQFHUQH VRQ DYHQLU OH SOXV LPPpGLDW $X
FRQWUDLUHOHV\VWqPHGRPLQDQWHQGpVDUURLRI¿FLDOLVH
et théorise le sentiment d’insécurité de ses propres
citoyens comme une condition de leur survie.
Cette situation n’a jamais existé dans l’histoire.
39
R. Pol. Públ. São Luís, Número Especial, p. 37-41, novembro de 2016
&¶HVW OD SUHPLqUH IRLV TXH OHV DFTXLV VRFLDX[ GX
monde du travail sont portés à la concurrence avec
OHV FRQGLWLRQV GH PLVqUH GHV SD\V DVLDWLTXHV HW
africains. Cela n’était nécessaire ni utile pour aucune
des parties en concurrence, ni pour le capital ni pour
le monde du travail, ni pour les pays développés ni
pour les pays en développement.
La réalité du 19e siècle est de retour et
HQYDKLW QRWUH pSRTXH OH V\VWqPH GX FDSLWDO WRXW
en promettant l’avenir, marche toutefois à réculons
vers son passé. Les tristement célèbres réformes
structurelles ne stabilisent pas le tissu social,
mais au contraire le déstabilisent profondement,
irrémédiablement et le détruisent. Elles portent
atteinte surtout aux couches et classes moyennes,
SXLVTXHF¶HVWHQSUHPLHUOLHXVXUHOOHVTX¶HVWUHSRUWp
OHFRW GH O¶DMXVWHPHQW K\SRWKpWLTXH 7DQGLVTX¶HQ
parallèle, le 1% de la population récupère de ce
IDLWGHV EpQp¿FHV GpOR\DX[/D SRODULVDWLRQ VRFLDOH
s’accentue et dépasse aujourd’hui ses tristes
performances de la période 1920-1930.
3DUDGR[H GH QRWUH pSRTXH WDQGLV TXH OH
champ social devient de plus en plus explosif, la
Gauche Européenne n’enrégistre pas des progrès,
PDLV DX FRQWUDLUH YRLW VRQ LQÀXHQFH ÀpFKLU $YHF
l’exception de l’Espagne, de la Grèce et du Portugal,
OD*DXFKH(XURSpHQQHPDUTXHSDUWRXWDLOOHXUVOHSDV
ou se trouve en régression dans le vieux continent.
En France, certains annoncent sa probable ¿Q
historique. Sa composante socialiste se trouve déjà
en décomposistion. De l’autre côté, la Gauche de
la Gauche se fait de moins en moins entendre au
GHYDQWGHODVFqQHSROLWLTXHIUDQoDLVH
,QFRQWHVWDEOHPHQWOHVIRUPDWLRQVSROLWLTXHV
de la Gauche, soit de sa tendance réformiste soit
de sa tendance révolutionnaire, sont en train de
perdre leur capacité de séduction surtout auprès des
jeunes, n’emballant plus les citoyens. Cependant,
LOHVW DXVVLLQFRQWHVWDEOH TXH ODVRFLpWp QH VHUHQG
SDVDX[ SURMHWV GX PRQGH GH OD ¿QDQFH PDLV HOOH
s’engage de plus en plus dans des nouvelles formes
de désobéissance et d’insoumission. De la faiblesse
actuelle de la Gauche Européenne, l’ extrême Droite
capitalise avec des promesses anti systémiques TXL
sont essentiellement destinées à rétablir l’ancien
système aujourd’hui en crise dans sa version la plus
autoritaire.
6¶LOHVW YUDL DXMRXUG¶KXL OD*DXFKH SROLWLTXH
est en perte de vitesse et en train de péricliter, le
radicalisme social ne suit pas pour autant, mais
au contraire il se présente en état d’ébulition
permanente. Dans les cas espagnol, grec et
portugais le rôle des mouvements sociaux et citoyens
s’avère déterminant. En Espagne, Podemos se
présente comme un pûr produit des mouvements
sociaux à partir des mobilisations des indignés des
SODFHV SXEOLTXHV HW DYHF GHV UpIpUHQFHV H[SOLFLWHV
DX[PRXYHPHQWV LQWHUQDWLRQDX[ TXL VHPDQLIHVWHQW
depuis le début de ce siècle (2001), des mouvements
comme le Forum Social Mondial parti de Seattle des
Etats Unis et le mouvement Occupy parti également
des villes américaines (Zuccotti Park, New York).
En Grèce, le parti Syriza s’est ouvert depuis
ses débuts aux mouvements contestataires des
jeunes et des citoyens, malgré ses hésitations et
résistances intérieures. Les Podemos réussissent
j GRQQHU DX SUREOqPH pFRQRPLTXH VD GLPHQVLRQ
SROLWLTXHHWVRFLDOH 'DQVODFULVH JpQpUDOHDFWXHOOH
LOV PHWWHQW HQ DYDQW VXUWRXW OHV TXHVWLRQV GH OD
démocratie, de la dignité et de la justice sociale. Ils ne
cherchent pas à réaliser une utopie dans un monde
parallèle ni à se servir du pouvoir pour imposer
GHV WUDQVIRUPDWLRQV j OD VRFLpWp PDLV FH TX¶LOV
cherchent c’est surtout le changement par en bas et
pour l’ensemble de la société avec la mobilisation
et la participation des masses. Aucune préscription
pFRQRPLTXH VDQV UHVSHFW GX WULSW\TXH démocratie
– dignité – justice. Des marches citoyennes de
dignité partout. Leur perception des problèmes
sociaux dépasse de loin celle de la Gauche classiste
traditionnelle. Cette dernière se trouve aux prises
avec l’épuisement de sa capacité de séduire les
FLWR\HQV HW OD VRFLpWp DYHF SDU FRQVpTXHQW VD
croissante incapacité de correspondre aux besoins
GHODVRFLpWpGHQRWUHpSRTXH
En Grèce, la lutte pour le maintien des
biens publics et sociaux, pour l’accès libre aux
bords du littoral et la mise en valeur des ressources
naturelles ne concerne pas seulement une seule
classe sociale, mais la grande majorité des citoyens
HW GH OD VRFLpWp /RUVTXH OH SRXYRLU HVW H[HUFp
abusivement par une oligarchie aux dépens de la
grande majorité des citoyens, le radicalisme de notre
pSRTXH pODUJLW VRQ FDUDFWqUH GH FODVVH HW V¶RXYUH
à lensemble de la société, à toutes les classes
VRFLDOHVSRXUUHYrWLUXQFDUDFWqUHTXDVLPHQWsupra-
classiste, populiste, attrape tout FH TX¶LO O¶H[SRVH
DX[FULWLTXHV WUDGLWLRQQHOOHV &HSHQGDQW ORUVTX¶XQH
petite oligarchie déconstruit et détruit l’ensemble
de liens sociaux au nom de la maximisation des
UHQGHPHQWV¿QDQFLHUV OH UDGLFDOLVPH FRQVLVWH j OD
défense de la société et de ses liens constitutifs, à
la défense de la vie et de la dignité de ses citoyens.
Si la référence aux notions du peuple et de sociéteғ
GHYUDLW UHQYR\HU DXWRPDWLTXHPHQW j O¶DFFXVDWLRQ
du populisme, il pourrait aller de même avec toute
référence à la démocratie, à la dignité citoyenne, à la
justice sociale3HXWrWUHTX¶jQRWUHpSRTXHFRPPH
les fondamentaux des sociétés sont touchés et
menacés, un nouveau populisme devient d’actualité.
3HXWrWUHTXHFHODH[SOLTXHODSHUSOH[LWpHWO¶DSKRQLH
GHOD*DXFKHWUDGLWLRQQHOOHDLQVLTXHVRQLQFDSDFLWp
de se faire entendre dans les circonstances
actuelles. De toute façon, il ne serait pas la première
IRLV TX¶XQH WHOOH LQFDSDFLWp VH PDQLIHVWH OHV YRL[
UDGLFDOHVGX H VLqFOH FHOOHV TXL H[SULPDLHQWOHXU
dégout par rapport à l’hypocrise bourgeoise de leur
pSRTXHQ¶RQWSDVPDQTXpGH YRLUWUDLWpUpJDOHPHQW
d’ utopistes VRXV OH MXVWLFDWLI TXH OHXU GLVFRXUV
ne faisait pas de référence aux classes sociales.
40 Kostas Vergopoulos
R. Pol. Públ. São Luís, Número Especial, p. 37-41, novembro de 2016
Cependant, cela n’a pas empêché ces voix non
classistes GH UHÀpWHU ELHQ O¶KRUUHXU VRFLDOH GH OHXU
pSRTXHQL GH PHWWUH OH PRXYHPHQWGHO¶KLVWRLUH HQ
marche.
&21&/86,21
/HFRQFHSWWKpRULTXHGHODVRFLpWpERXUJHRLVH
VH GLVWLQJXH ELHQ GH VRQ IRQFWLRQQHPHQW SUDWLTXH
$QWRQLR*UDPVFLDELHQPRQWUpTXHODWKpRULH
QHVXI¿W SDV OHVFRQGLWLRQV GH ODFULVH QH VXI¿VHQW
pas, car il y a encore la nécessité incontournable de
la constitution d’une nouvelle alliance sociale sur la
EDVH G¶XQH LGpRORJLH DGpTXDWH 6DQV OD conviction
commune du changement dans la conscience de la
grande majorité sociale, rien ne peut changer et rien
ne change. Le nouveau radicalisme populaire pose
H[DFWHUPHQW G¶HQ EDV OD TXHVWLRQ GH OD QRXYHOOH
FRQFHSWLRQVRFLDOHTXLFRQFHUQHQRQVHXOHPHQWXQH
partie ou segment de la société, mais essentiellement
VDJUDQGHPDMRULWp7RXWHVOHVVpTXHQFHVPDVVLYHV
de l’histoire, soit révolutionnaires soit réformistes, ne
portaient pas au départ de détermination classiste,
PrPHVLSDUODVXLWHO¶RQWDFTXLVH
3RXUTXRLDXMRXUG¶KXLIDXGUDLWLOH[LJHUFRPPH
SUpDODEOHjWRXWHDFFpOpUDWLRQVRFLDOHTXHOTXHFKRVH
TXLQ¶D MDPDLVSUpDODEOHPHQW H[LVWp GDQVO¶KLVWRLUH"
Dans les conditions de crise généralisée, tout
change, même les plus fondamentaux. Les éléments
TXDQWLWDWLIVVHWUDQIRUPHQWUDSLGHPHQWHQTXDOLWDWLIV
les critères classistes en critères supra-classistes vu
TX¶LOVFRQFHUQHQW WRXWOH SHXSOH HWO¶HQVHPEOH GH OD
VRFLpWp /RUVTXH OD VRFLpWp WRXWH HQWLqUH V¶LQVWDOOH
GDQVXQpWDWG¶H[FHSWLRQ OD¿[DWLRQjXQH H[FOXVLYH
détermination de classe ne fait pas avancer la
radicalisation sociale, le radicalisme des masses,
mais au contraire les ralentit. En dernière analyse, le
radicalisme de nos jours c’est l’ouverture à la société
HWjVHVPXOWLWXGHVWDQGLVTXHOHFRQVHUYDWLVPHF¶HVW
OHIHUPHUXUHOD UHFKHUFKHGH ODSXUHWp LGpRORJLTXH
OD PH¿DQFH HQYHUV WRXW TXL QH FRUUHVSRQG j GHV
schémas préétablis. C’est dans ces circonstances
TXHODQRWLRQGH O¶intérêt socialTXLWWH OHPRQGHGHV
idées pures pour prendre chair et os, pour s’incarner
dans la réalité sociale vivante.
RÉFÉRENCES
GRAMSCI, A. &DKLHUVGH3ULVRQ. Paris:
Editions Gallimard, 1978.
MARX, K. Manuscrits. Paris: Editions Sociales,
1844.
Kostas Vergopoulos
Economista
Doutor em Economia pela Sorbonne University - Paris
Professor de Economia pela Université Paris VIII
E-mail: kvergo@gmail.com
Université Paris VIII
2 rue de la Liberté - 93526 Saint-Denis/France
R. Pol. Públ. São Luís, Número Especial, p. 37-41, novembro de 2016
L’UTOPIE AU 21e SIÈCLE 41
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