Le système juridique est mort, vive l'ensemble!

AutorVéra Jacob de Fradera
Páginas19-27

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Introduction

L’intitulé de cette contribution évoque une remarque faite par B. Oppetit dans un de ses écrits,1 à propos de la décadence de la notion classique de système juridique, résultant de son envahissement par toutes sortes de règles du fait des besoins de l’intégration européenne, en sorte que la cohérence, élement fondateur du con-cept de système en droit, n'y existe plus. En Amérique Latine, on assiste à un phé-nomène semblable à celui qui vient d'être décrit, mais qui se produit à l'intérieur des ordres juridiques nationaux, et non en raison d'une intégration de ceux-ci dans le Mercosul, cette intégration n'existant pas encore de façon achevée. Nous allons montrer qu'au Brésil, le pays où ce phé-nomène s'observe de façon la plus intense, le droit se présente sous une forme émietté à cause de la profusion de micro- systèmes juridiques, crées de manière désordonnée, sans aucun souci de préserver un minimum de cohérence.

Au Brésil, il n'existe pas, comme en France, une évolution nationale du droit, car notre la tradition juridique brésilienne remonte à l'époque coloniale, lorsque le colonisateur portugais a imposé son droit aux peuples du Nouveau Monde, à travers les ordonnances du Royaume, mélange de plusieurs influences, dont le droit Romain, le droit Canon, le droit Arabe et celui des Wisigoths. Il convient de souligner que le Brésil a conservé, dans la mesure du possible, cette tradition juridique, grâce à l’initiative du législateur du premier Code Civil, publié en 1916. De ce fait, le Code Civil Brésilien de 1916 est considéré le Code le plus indépendant parmi tous les Codes Civils sud-américains, inspirés, pour la plupart, du Code Napoléon. En revanche, le droit canon et les Pandectes sont présents au sein de celui-ci, particulièrement dans branches le droit de la famille (droit canon) et le droit des obligations (Droit des Pandectes).

En accord avec le moment historique où il fut conçu et publié, le Code Civil de 1916 formait un vrai système juridique, dans le sens attribué à ce mot par la doctri-ne du XIXème. siècle.

En revanche, le nouveau Code Civil Brésilien, publié en janvier 2002, entré en

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vigueur en janvier 2003, peut être considéré comme un Code ouvert, en ce sens qu'il n'exclue pas le jeu d'autres sources, telles la coutume, la Constitution Fédérale et même les normes internationales. Par ailleurs, le droit privé brésilien se spécia-lise de plus en plus, en sorte que les mi-crosystèmes s'y multiplient.

On commencera donc cette étude par l'analyse de latraditionjuridique auBrésil, en cherchant jusqu'à à quel point elle a pu produire des consequénces dans le système juridique national (I).

On cherchera ensuite à répondre à la question suivante: le droit brésilien actuel forme-t-il un système juridique ou consti-tue-t-il plutôt un ensemble de normes (II)?

I - La tradition juridique brésilienne et la notion de système en Droit

Le droit brésilien a ses origines dans le droit du colonisateur portugais, le-quel, fondé sur des règles consolidées dès l'époque des Ordonnances Afonsines (1446 ou 1447), ne constituait pas un vrai Code, mais seulement une sorte de législation à droit constant rassemblant de façon plus ou moins systematisée des règles juridiques, les Ordonnances du Royaume, qui étaient elles mêmes le produit d'un mélange de droit Canon, des coutumes arabes, wisigo-thes, etc.). De là, le centralisme juridique portugais, manifesté dès les premières Ordonnances et conservé dans celles qui les suivirent, les Ordonnances Manuelines et Filipines. De là aussi, le fait qu'au Brésil, un immense pays, les rapports de nature privée sont régis parun seul Code Civil. On peut ainsi dégager une des caractéristiques du droit brésilien: très fidèle à ses origines, le droit du colonisateur, le système brésilien est au même temps, très ouvert aux influences étrangères, du fait, justement, de l'empreinte qu'y a laissé le droit portugais, lequel était lui même très attaché au droit subsidiaire et à la recta ratio, décou-verte dans le droit Romain et les principes du Droit Naturel. Par là, on constate le caractère ouvert des sources du droit, depuis l'époque coloniale jusqu'à nos jours. En 1916, a été publié le premier Code Civil Brésilien, dont le premier projet a été éla-boré parunjuriste de qualité exceptionnel-le, Augusto Teixeira de Freitas, très fidèle à la tradition des Ordonnances du Royaume, au droit romain et aux Pandectes, lues en traduction française. C’est dire que le seul pays latino-américain où on ne trouve pas une influence préponderante du Code Na-poléon est le Brésil.2

En revanche, parmi d'autres inspira-tions, on y remarque une assez importante présence du Droit des Pandectes, consé-quence de l'énorme admiration que Freitas vouait au droit romain, admiration partagée par Bevilacqua, le deuxième législateur du Code Brésilien de 1916.

Après ces brèves réfléxions, on peut affirmer, comme l'a fait jadis René Da-vid, que toutes les conceptions juridiques du Brésil, comme le Portugal et comme la France, se rattachent à la tradition et au système du droit romain.3

Le Code de 1916 est resté en vigueur jusqu'au 12 janvier 2003. ll a, donc, tra-versé une longue période de la vie de la société brésilienne, période marquée par maintes mutations sociales, culturelles et morales, et surtout par la transformation d'une société agraire en une société indus-trialisée. Au fur et à mesure que le temps passait, les juges et la doctrine ont utilisé

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d'autres sources pour combler les lacunes que l'on découvrait au sein du corps des règles juridiques insérées dans le Code de 1916. Ainsi, de la même façon qu 'en l'Allemagne et en France, deux pays dotés de Codes anciens et de Constitutions récentes, notre Constitution Fédérale de 1988 a été une source très importante pour le renouvellement du Code de 1916. Ce mouvement est à l'origine de la créa-tion d'une vrai école de droit sur ce sujet, celle de la constitutionnalisation du droit civil, dont le centre se trouve à la faculté de droit de l'État de Rio de Janeiro. De la même façon, la publication d'un Code de la Consommation, en 1990 (L. 8.078, 11 sept.) a contribué à rendre plus flexible le Code Civil, principalement au moyen de l’intériorisation des principes juridiques adoptés par les législateurs du Code de la consommation,4 dont, parmi d'autres, celui de la bonne foi objective.

Depuis le 10 janvier 2002, le Brésil a un nouveau Code civil (L. 10.406/2002). Ayant sa source dans un projet datant de 1975, celui-ci est entré en vigueur le 12 janvier 2003. Ce Code a été élaboré par une Commissionde juristes, réunissant des civilistes de grande renommée.5

Il a subi une importante influence du Code italien de 1942, surtout en ce qui concerne le droit des contrats et de l'entreprise. En outre, en raison du décalage existant entre l'ancien Code et la nouvelle réalité sociale, la doctrine juridique et la jurispru-dence des tribunaux, ont élaboré des principes de solution adéquats aux problèmes rencontrés par les parties dans les procès, particulièrement dans le domaine du droit des contrats, de la famille et de la propriété. En conséquence, les apports de la doctrine juridique brésilienne au nouveau Code Civil ont été très nombreux,6 le législateur de 2002 ayant récolté les fruits de la réflexion doctrinale et d'une longue activité jurispru-dentielle.

Le nouveau Code a, néanmoins, en-traîné des profonds changements dans notre droit privé, en raison surtout de la phi-losophie adoptée par le législateur, inspi-rée en grande partie des idées finalistes de Josserand;il en est résulté un droit privé défini comme voué à l'éthicité, à la socialité et à l'éfficacité (operabilidade). En ce qui concerne le contrat, le législateur du nouveau Code civil brésilien a introduit la notion defonction sociale, inspiré, sans doute, du projet de Code italien de 1942. Par là, on apperçoit l'ouverture à l'influence étran-gère dans certains domaines de la vie juridique nationale, en ce qui concerne le droit privé en général, et plus particulièrement, dans le domaine du droit des contrats et de l'entreprise, les deux branches soumises à l’influence italienne la plus forte. Par ail-leurs, la circulation au Brésil des modèles juridiques en provenance de la Common Law, anglaise ou américaine, est un fait in-contestable, au Brésil, surtout dans la deu-xième moitié du XXe. siècle.7 On peut ici nommer ici quelques exemples de contrats reçus par le système brésilien: le leasing,

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le factoring, le franchising, le know-how, le turn-key et le time sharing. En outre, la fiducie commence à avoir au Brésil un relatif succès, bien qu'elle soit considérée un contrat innomé. Elle y sert à deux buts principaux: le but de garantie (fiducia cum creditore) et le but d'administration ou de gestion (fiducia cum amico).8 On reconnaît ici un domaine où l'intervention de l'État est presque inexistante.

S'agissantdu droit de lafamille, etplus précisément de la possibilité de changer de régime matrimonial, le nouveau Code a reçu le modèle allemand, selon lequel les conjoints peuvent changer le régime, dès lors de biens, qu'ils prennent en compte les droits de tiers, notamment ceux des créan-ciers. Il existe de nombreux exemples de réception de modèles étrangers par le droit brésilien, soit par la voie de la doctrine, soit par la voie de la pratique. Du point de vue de la pratique, l'arbitrage joue un grand rôle en ce qui concerne l'ouverture des sources du droit au Brésil. En...

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